30 juil. 2012

Politique - Qu’est-ce donc que la démocratie?

Alexandre Ménard - Diplômé de la faculté de droit de l’Université de Montréal 30 juillet 2012 Québec

La manifestation du 22 juillet contre la hausse des droits de scolarité, à Montréal, qui défiait la loi 78 du gouvernement.
Photo : François Pesant Le Devoir
 
La manifestation du 22 juillet contre la hausse des droits de scolarité, à Montréal, qui défiait la loi 78 du gouvernement.

Qu’est-ce que la démocratie ? Mes études en droit international et comparé à Vienne et à Pékin ne m’ont certainement pas permis de répondre à cette question. Au contraire, mes recherches ont plutôt contribué à détruire l’image que j’avais de ce concept que je croyais jusque-là bien façonné. Mais ce concept, perçu comme un système social utopique, de quoi est-il le gage ?

Dans le conflit qui a sévi au Québec, les gouvernants ont rapidement fait ce que leurs homologues du monde entier auraient fait : ils ont défendu leurs actions en invoquant LA démocratie. Raymond Bachand, parmi d’autres, affirmait que la pression de la rue n’avait pas sa place en société, puisque dans un système démocratique, l’expression populaire n’est légitime qu’au moment du suffrage universel ; grosso modo, de l’avis du gouvernement, « nos actions sont légitimes puisque nous avons été élus démocratiquement », un raisonnement que je critiquerai sévèrement dans les prochaines lignes. En effet, je vous propose d’analyser la fameuse position selon laquelle, en démocratie, « si tu n’es pas content, tu n’as qu’à voter aux prochaines élections ».

Pratiquement tous les dirigeants du monde entier - du moins là où la monarchie n’est plus - se targuent de vivre dans un système démocratique. Alors ici, nous prétendons vivre dans un système démocratique et plus largement de savoir ce qu’est LA démocratie. Nous prétendons même pouvoir critiquer de façon hégémonique les autres systèmes ; ceux-là qui n’ont pas encore compris ce que c’est la « vraie démocratie » (et ce ne sont pas les exemples d’impérialisme doctrinal qui manquent !). C’est tout, nous savons, donc les autres ont tort ! Pourtant, allez à Moscou, et les officiels tiendront le même discours… Où est-ce que je veux en venir ? Cette réflexion préliminaire sur la portée de la démocratie porte sur deux prémisses, l’une touchant son contenu, l’autre son contenant.

Indéfini mais universel

Primo, les intellectuels oeuvrant en droit international s’entendent sur un point : le concept de démocratie est indéfini. La démocratie n’est pas une norme morale absolue en soi, puisqu’elle est indéterminable. C’est en réalité une idéologie qui diffère en fonction de l’auteur qui en traite. Il ne peut donc s’agir d’un concept universel à l’échelle internationale.

Secundo, on remarque que l’utilisation du concept de la démocratie, elle, est universelle. En effet, chaque représentant étatique se proclame à la tête d’un système démocratique.

Bref, la forme est universelle en dépit du fond.

Mais à quoi sert cette coquille ? Elle sert tantôt aux intellectuels qui tentent de définir une justice universelle ou naturelle, tantôt aux détenteurs du pouvoir. Pour ces derniers, c’est à des fins politiques que cette coquille prend toute son importance.

Mais quel est le rapport avec le conflit québécois ? J’y arrive…

Je disais plus haut : c’est tout, nous savons, donc les autres ont tort. Charest sait, donc il a raison. Que sait-il ? Ce qu’il sait, c’est comment on exploite l’idée de démocratie pour faire avaler à monsieur madame Tout-le-monde que ses actions sont justes. Voilà vraiment ce qu’il sait de la démocratie, le contenu demeurant d’une grande futilité à ses yeux. Comme tous ceux qui tentent de freiner l’émergence des idées au Québec, tous ceux qui prônent le statu quo ou les détracteurs des élections à date fixe.

À ceux qui prétendent que la seule façon légitime de se faire entendre est de voter aux élections, je réponds : « Attention ! Le retour du balancier pourrait être dévastateur. Il est possible que cette position ne vous serve qu’un temps seulement. » Je m’explique…

À une époque archaïque, la légitimité du pouvoir tenait au sang des monarques. Aujourd’hui, le pouvoir légitime se fonde dans la démocratie.

Historiquement, notre compréhension de ce pouvoir « légitime » s’est faite par étapes. Nous avons cru après la Première Guerre mondiale qu’un parlement élu était nécessairement légitime. C’est à ce moment que le Parti national-socialiste (parti nazi) de Hitler fut élu. Il a adopté des lois ayant conduit à la tristement célèbre « solution finale de la question juive », qui commandait rien de moins qu’un génocide. Ces lois ont été adoptées en assemblée par une majorité d’élus. Rien de plus démocratique ? J’en doute.

C’est ensuite qu’on a compris que la primauté du droit, l’un des principaux axes de la démocratie, devait s’associer à certaines normes morales pour demeurer légitime. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948 par l’ONU, suivra…

Charte et constitution

Théoriquement, dans un contexte de gouvernement majoritaire, comme en ce moment au Québec, la Charte des droits et libertés est notre gardienne contre un régime totalitaire temporellement limité par la durée du mandat. C’est devant cette réalité théorique que le législateur l’a fusionnée avec la Constitution. Cette même charte consacre la liberté d’association et d’expression, nous attribuant le droit de manifester notre désaccord. Personne ne disconviendra que la Charte soit un élément central de notre système démocratique. Pourtant, certains condamnent l’exercice de ce droit en tenant des propos comme ceux endossés par notre gouvernement.

S’il est vrai que notre système démocratique assure la tenue d’élections législatives, il ne se limite pas à cela. Le respect de nos droits et libertés fondamentales est aussi assuré par cette même « démocratie ». M. Charest n’agit pas en son nom, il la viole. C’est aux intellectuels de déterminer le contenu de la démocratie, pas aux politiciens, qui la déforment de façon circonstancielle, de manière à imposer leurs volontés, comme l’équipe libérale a su le faire pendant le printemps québécois.

Mon raisonnement tente de démontrer que si M. Charest restreint l’expression de la rue en ne respectant pas les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, l’exercice de son pouvoir est illégitime, puisque non démocratique. Peu importe à quel point il se targuera d’être un grand démocrate, il ne l’est pas. De surcroît, la banalisation de ces manquements serait le plus grand aveu de faiblesse de notre nation, pourtant si forte.

***

Alexandre Ménard - Diplômé de la faculté de droit de l’Université de Montréal

19 juin 2012

ZÉRO $ DE LA PART DU GOUVERNEMENT LIBÉRAL COMME COMPENSATION « JUSTE ET ÉQUITABLE »

Le 1 juin 2011, à la veille de l'adoption de la Loi 2, le ministre des Transports, M. Sam Hamad, a pris l'engagement d'entreprendre des discussions avec les citoyens qui avaient obtenu gain de cause auprès du Tribunal administratif du Québec et de la Cour supérieure pour qu'ils soient justement et équitablement compensés, la Loi 2 les privant de leurs droits judiciaires et civils. En septembre 2011, le ministre actuel, M. Pierre Moreau, réitérait cet engagement.

Or, à ce jour, Mme Josée Bilodeau, M. Pascal Veilleux ainsi que de Mme Manon Poulin et M. Marc Saint-Hilaire n'ont reçu aucune compensation pour le remboursement des frais judiciaires d'environ 120 000 $ qu'ils ont encourus inutilement des suites de l'adoption de la Loi 2 par le gouvernement libéral.

Rappelons que le gouvernement libéral a eu recours à une mesure législative pour valider un décret du Conseil exécutif précédemment déclaré nul par l'honorable juge Paul Corriveau de la Cour supérieure alors même que le Procureur général interjetait appel de ce jugement devant la Cour d'appel.

Adopté à l'imminence de l'audience de la Cour d'appel, la Loi 2 a permis au gouvernement d'invalider lui-même le jugement qu'il portait en appel et d'annihiler l'action en justice des citoyens devant le Tribunal administratif du Québec contre la seconde décision de la CPTAQ, sursit depuis l'adoption du décret pris à la veille de l'audience, pour éviter la question du tracé de moindre impact pour le secteur de Beauceville.

La Loi 2 se révèle, une fois le voile levée des données litigieuses du MTQ à la base de la décision de la CPTAQ, comme une solution du MTQ pour esquiver les tribunaux, prise sous la dictée d’un groupe de pression, irrité des décisions juridictionnelles défavorables et des délais inhérents de justice et c’est sans aucun fondement rationnel que le législateur a violé les lois de protection de la qualité de l'environnement et de l'intégrité du territoire agricole pour appliquer de façon tout à fait arbitraire ses propres vues sur le projet en cause;

Dommage que le gouvernement libéral n'est pas souffert autant d'irritation pour la réalisation du tracé Ouest, la population beauceronne y circulerait depuis trois décennies !!!

17 févr. 2012

Quand Dutil cite Montesquieu

Montesquieu et Robert Dutil...<br />
Photo : Photomontage: Dave Noël

Montesquieu et Robert Dutil...

En chambre tout à l'heure, le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil, répondant à Sylvie Roy de la Coalition avenir Québec, affirmait que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) «est totalement indépendant du pouvoir législatif et exécutif».

Comme avocate, la députée caquiste devrait le savoir, a-t-il insisté, ajoutant que «personne ne peut donner d'ordre au DPCP [...] Dans notre société démocratique, un des piliers, c'est la séparation du pouvoir judiciaire du pouvoir législatif et exécutif».

Et la pièce de résistance suit : «Elle a dû lire Montesquieu, là, dans son cours, à un moment donné, 'L'esprit des lois'. Elle doit savoir ça, que, depuis deux siècles, le politique ne se mêle pas des enquêtes policières. Il me semble que ce n'est pas un mystère, cette question-là, et qu'elle devrait peut-être retomber dans ses lectures antérieures.»

L'affirmation de M. Dutil a quelque chose d'angélique. Depuis 200 ans, «le politique de se mêle pas des enquêtes»? Vraiment? Et le sort du journaliste Pierre Bédard? Et la condamnation des patriotes? Et la faillite de Roncarelli?

De plus, les régimes politiques canadien et québécois n'ont rien de la pure séparation des pouvoirs dans les républiques telles les États-Unis. Nous vivons ici —et nous nous en accommodons— en confusion totale des pouvoirs où l'exécutif est tout puissant. Ce dernier contrôle le législatif presque totalement.

Heureusement que depuis quelques années —pas longtemps—, il y a augmentation du nombre de «personnes désignées» par l'Assemblée nationale, le «club des cinq»: le Directeur général des élections, le Vérificateur général, le Protecteur du citoyen, le Commissaire au lobbyisme et le Commissaire à l'éthique. Ces derniers, bien qu'ils ne soient pas élus par la population, tirent leur légitimité du législatif, ce qui redonne un peu de pouvoir à ce pouvoir — si vous me permettez la redondance.

D'ailleurs, je me demande bien pourquoi le DPCP, ainsi que le chef de l'UPAC (l'Unité permanente anticorruption), ne seraient pas nommés par l'Assemblée nationale? En mars 2011, lorsque j'ai posé la question au patron de l'UPAC Robert Lafrenière dont on venait d'annoncer la nomination, il a déclaré se sentir «tout à fait indépendant».

Mais qui est-il pour en juger? Bien qu'il n'y ait pas de doute quant à son intégrité, n'a-t-il pas depuis semblé faire systématiquement le jeu du gouvernement?

Au reste, ne l'oublions pas, l'exécutif nomme les juges —et on a vu à quel point ce rapport était problématique avec les affaires Bellemare et la Commission Bastarache.

Dans un article fondateur intitulé De la monarchie en Amérique, l'essayiste Marc Chevrier se penchait sur la «confusion des pouvoirs» qui caractérise les régimes québécois et canadien. En voici quelques extraits, en écho à la sortie de M. Dutil:

«Plusieurs pouvoirs et prérogatives, au lieu d'être séparés, sont exercés par les mêmes personnes ou institutions. Les fictions de la Couronne de la monarchie anglaise ont toujours posé un frein mental à une complète et nette séparation des pouvoirs.»

«Au nombre de ces pouvoirs qui se confondent ou se recoupent, on note que la fameuse responsabilité ministérielle, dont on se fait gloire au Canada qu'elle fut advenue sans révolution, a entraîné avec le temps le transfert progressif de l'initiative des lois du parlement vers le cabinet. Aujourd'hui, les lois naissent du parti ministériel, rédigées et conçues par l'Administration. La Chambre des Communes et l'Assemblée nationale se bornent le plus souvent à enregistrer, après quelques retouches consenties en commissions parlementaires, les lois présentées par l'exécutif. La séparation entre l'exécutif et le législatif est purement formelle; le premier se soumet aux décrets de l'autre, bien que ce soit l'exécutif qui les ait dictés.»

«Une autre confusion, et non la moindre, est la prérogative du Premier ministre de convoquer (ou de révoquer) à son gré les sessions de l'Assemblée, et de choisir, au moment électoral opportun, la date des élections générales.»

«La confusion des pouvoirs touche aussi le judiciaire. Depuis le début du siècle, le gouvernement central et les provinces se sont accoutumés à demander à leur cour d'appel des avis sur toutes sortes de questions de droit, même en l'absence de litige concret. Bien qu'il reconnût la légalité de la procédure, le Conseil privé de Londres admit que le renvoi n'était pas à proprement dit une fonction judiciaire. La république américaine est allergique à l'idée que les tribunaux deviennent les conseillers légaux de l'exécutif. Au nom de la séparation des pouvoirs, la Cour suprême américaine s'est objectée aux renvois, puisqu'il s'agit d'une tâche relevant de l'exécutif.»

«La plus étrange - pour ne pas dire la plus cocasse - des confusions entre l'exécutif et le judiciaire est cette possibilité, pour l'instant toute théorique, prévue par les lettres patentes de 1947 constituant la charge du gouverneur général: le juge en chef de la Cour suprême peut lui succéder. En effet, en cas d'incapacité ou d'absence du premier, le deuxième devient le chef suppléant de l'État canadien. Voilà qui en dit long sur l'esprit du régime, comme si les juges étaient assimilés à des monarques en puissance. On notera que dans les républiques, les suppléants du chef de l'exécutif sont habituellement des élus du peuple. Aux États-Unis, le vice-président, colistier du président, prend sa place en cas d'absence, d'incapacité ou de démission. En France, le président du Sénat prend la relève du président de la République, dans les mêmes éventualités.»

«La bonne pondération des pouvoirs de l'État est rarement un thème de débat, au Québec et dans le reste du Canada. Voilà qui est curieux, dans une fédération si souvent absorbée par la réforme de sa constitution. »

Qu'en pense M. Dutil?

27 janv. 2012

L'ÉTUDE UNIVERSITAIRE SUR LE DOSSIER DE L'AUTOROUTE 73... UN APERÇU


Pour fin de diffusion, nous avons changé les noms des personnes visées par cette étude.

L’autoroute qui empêchait de voir la démocratie


Analyse du dossier de l’autoroute 73 selon les théories
d’Habermas et de McCombs et Shaw


Introduction


En mai 2004, lors d’une première scéance d’information à Notre-Dame-des-Pins en Beauce, le ministère des Transports (MTQ) révélait aux citoyens un projet de prolongement de l’autoroute 73. 
Deux trajets étaient proposés : celui de l’Est, situé au centre d’une zone agricole (162 hectares touchés), et celui de l’Ouest, aussi en zone agricole mais plus près de la ville  (129 hectares touchés).
 
 
Dès lors se forma une coalition qui prit plus tard le nom de Partisans du tracé Ouest, composée de quatre citoyens producteurs forestiers et agricoles. Ces derniers comprirent assez tôt que leur opposant principal sera le gouvernement lui-même, qui a de fortes inclinations pour le tracé Est.
 
 
Après une série d’audiences en octobre et novembre 2006, le Bureau d’Audience Publique sur l’Environnement (BAPE) conclut que « le tracé Est [privilégié par] le ministère des Transports aurait des impacts significatifs sur le milieu agricole[1] » et qu’il faudrait étudier davantage la question.
 
 
La série d’événements qui a suivi se révéla cousue d’erreurs manifestes de la part du MTQ. Piégé, le gouvernement émet un décret pour la réalisation du tracé Est. Les partisans du tracé Ouest refusent l’esquive et, en décembre 2009, déposent une requête en nullité du décret à la Cour supérieure. Le jugement rendu un an plus tard sera favorable aux citoyens.
 
 
Le ministère des Transports ne se résignant pas, il porte en appel la décision du juge ; l’audience est fixée au 5 juillet 2011. Cependant, le 8 juin 2011, le parlement du Québec sanctionne une loi spéciale, le projet de loi 2, validant le susdit décret. Par une action législative plutôt que judiciaire, le gouvernement a bloqué ses propres procédures d’appel et s’est ainsi proclamé vainqueur d’une bataille qui aura duré presque sept ans.

Comment expliquer l’issue de cette histoire dans un système qui se dit démocratique? 

Dans la présente analyse, nous essaierons de comprendre la défaite – si on peut l’appeler ainsi – des Partisans du tracé Ouest à travers deux théories du 20e siècle : d’abord celle allemande de l’espace public (Habermas – 1962), puis celle américaine de l’agenda-setting (McCombs et Shaw - 1972).


Développement analytique


Jürgen Habermas explique, dans son livre publié en 1962, sa théorie sur l’espace public selon laquelle un espace existe (ou doit exister) comme médiateur entre État et individus, et que l’État a une tâche dite « publique » puisqu’ « il doit se préoccuper de l’intérêt général […] de tous les citoyens […][2] ». 
Habermas exprime en revanche que cette condition tend au déclin : on assiste dans la société moderne à une « reféodalisation de la sphère publique[3] », c’est-à-dire que les intérêts considérés sont « limitativement basé[s] sur la classe sociale bourgeoise[4] » et de plus en plus souscrits à des valeurs marchandes.
Il est simple d’appliquer cette thèse allemande au dossier de l’autoroute 73 puisqu’au moins une personne en lien avec l’État possédait des intérêts personnels en faveur du tracé Est : Monsieur Bien Plogué posséde des terres sur le tracé Ouest. Évidemment, aucune relation directe ne peut être établie entre ce fait et les penchants du gouvernement.
Un certain Monsieur Bien Connu, révèle partout sa préférence et son empressement à construire le tracé Est. Les fondements des actes et paroles restent cependant inconnus…

En outre, en référence à la définition d’Habermas du rôle de l’État, un exemple d’abberation plus précis a bel et bien eu lieu : le ministère des Transports du Québec a négligé d’informer le public qu’il disposait des autorisations nécessaires à la réalisation du tracé Ouest depuis 1988. L’Union des Producteurs Agricoles n’ayant pas non plus dévoilé l’avancement de ces ententes qui avaient eu lieu dans les années soixante-dix et quatre-vingt.

Quels sont les motifs qui ont poussé des institutions respectables à ainsi oublier leur devoir dans l’espace public?

Habermas en revient aux théories marxistes de la lutte des classes : la société s’est vraisemblablement reféodalisée et les petits groupes qui siègent dans la sphère publique font valoir leurs propres intérêts au lieu de prioriser ceux des citoyens. De plus, le théoricien allemand mentionne que l’espace public s’opère grâce à une notion de « publicité » garantissant que l’information soit accessible à tous, désormais assurée par les médias.

Il faut dire que certains journalistes ont directement contribué à l’élaboration de la pensée collective de son public beauceron par ses choix de rédaction.

Dans une telle situation, le biais de l’information est indéniable. L’opinion publique a ainsi « [perdu] sa fonction critique car elle [a été] assujettie par des groupes d'intérêts qui utilisent la technique publicitaire au service privé de leur pouvoir[5] ». En définitive, nous ne sommes ici que dans une supposition habermassienne, mais les valeurs apolitiques des décideurs - que sont possiblement dans cette histoire le capitalisme et l’individualisme - auraient pu contribuer à l’obligation de battre en retraite des Partisans du tracé Ouest.

Pourquoi, dans ces conditions, la population ne s’est-elle pas fortement mobilisée? Après tout, un système démocratique induit que le pouvoir est exercé par le peuple… Or, encore faut-il que ce dernier soit informé des débats en cours. Nous entendons par là que si la population québécoise avait été davantage mise au courant de l’affaire de l’autoroute 73, la conclusion aurait peut-être été différente.

McCombs et Shaw expliquent, dans leur théorie de l’établissement de l’ordre du jour[6], comment les médias, par la hiérarchie des sujets qu’ils proposent « exercent un effet important sur la formation de l’opinion publique[7] ».

En effet, la controverse dont il est question n’a suscité l’attention que des médias locaux, en l’occurrence ceux de la Beauce (Édition Beauce, l’Éclaireur Progrès) et de Québec (Le Soleil), excepté pour un point de presse effectué dans les derniers milles de l’affaire.

L’émission Enquête avait amorcé des démarches de reportage, mais rien n’avait finalement été diffusé. Le public général montréalais et des autres régions n’a donc pas vraiment eu connaissance du projet de loi spéciale voté en catimini en juin dernier.

De plus, au canal de  l’Assemblée nationale (ASSNA) comme dans les médias en général, on aura préféré parler du débat sur l’amphithéâtre de Québec et de sa loi 204 – votée le même mois – qui a d’ailleurs suscité une grande effervescence partout en province : nous n’avons qu’à nous rappeler la Marche bleue sur les Plaines d’Abraham qui avait attiré près de 60 000 personnes.

Il ne faut cependant pas croire que les médias auraient eu un impact direct sur l’opinion des citoyens par rapport au prolongement de l’autoroute 73.

Les journalistes auraient seulement inséré le sujet dans la liste de préoccupations de chacun, c’est-à-dire que l’histoire du combat entre le ministère des Transports et les Partisans du tracé Ouest aurait eu une place dans l’agenda de pensée des individus. Cela aurait pu faire une différence puisqu’il existe bel et bien, toujours selon McCombs et Shaw, une corrélation « entre l’importance que les médias accordent à certains sujets et la perception qu’ont les consommateurs de nouvelles de l’importance de ces sujets[8] ».

En résumé, il est fort possible selon McCombs et Shaw qu’on puisse expliquer la défaite des producteurs forestiers et agricoles en partie par le manque de prise en charge du sujet par les médias influents, ce qui a contribué à l’absence de quelconques mouvements de masse significatifs. 

Conclusion

Jusqu’ici, nous n’avons qu’appliqué les théories de trois chercheurs à un exemple concret et moderne. Qu’en est-il de notre propre réflexion?
En fonction de ce qui a été expliqué ici, il nous semble vrai qu’une mauvaise utilisation de l’espace public explique la défaite des citoyens contre le gouvernement. La conclusion des débats pour ou contre n’est pas survenue selon les balises d’une démocratie, voilà tout. Et ce, à l’avantage des gens au pouvoir et de leurs amis…
Pour ce qui est de la théorie de McCombs et Shaw, elle reste incomplète puisqu’un débat médiatisé n’aurait pas nécessairement suscité la controverse générale à cause de la complexité du sujet, certes, mais  également à cause, justement, de la possible manipulation de l’espace public médiatique.
C’est un énorme égarement du gouvernement québécois quant à ses valeurs et fondements que de faire taire des citoyens, et la loi 2 n’aurait jamais dû passer inaperçue.
Qu’on soit pour un ou l’autre des trajets d’autoroute, la défaite des Partisans du tracé Ouest est injuste (dans un régime démocratique, entendons-nous – mais si vous m’apprenez que nous sommes dans un régime totalitaire, alors là…).

Médiagraphie


o    HABERMAS, Jürgen. L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Éditions Payot, 1962, 324 pages.

o    GINGRAS, Anne-Marie. La communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’université du Québec, 2003, 295 pages.

o    FAIVRE-MALFROY, Florian. Théories de la communication, Lyon, Université Jean Moulin, 2009, 15 pages.

o    MOUMOUNI, Charles. «L’image de l’Afrique dans les médias occidentaux, une explication par le modèle de l’agenda-setting », Les cahiers du journalisme, n°12, (automne 2003), pp. 152 - 168.

o    Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (janvier 2007). Projet de prolongement de l’autoroute 73, Robert-Cliche, entre Beauceville et Saint-Georges, Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 87 pages.

o    Encyclopédie de l’Agora. Habermas et le concept d’espace public, [En ligne], http://agora.qc.ca/dossiers/Espace_public (page consultée le 28 novembre 2011).

o    BILODEAU, Josée. Les Partisans du tracé Ouest de l’Autoroute 73 à Beauceville, [En ligne], http://www.partisansdutraceouest.blogspot.com/ (page consultée les 25, 28 novembre et 3 décembre).

o    BOIVIN, Matthieu (20 mai 2011). « Marche bleue : Mario Roy dévoile les chiffres », Le Soleil, [En ligne], http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/dossiers/vers-un-nouveau-colisee/201105/20/01-4401247-marche-bleue-mario-roy-devoile-les-chiffres.php (page consultée le 3 décembre 2011).

o    LEDUC, Gilbert (5 novembre 2010). « Prolongement de l’autoroute 73 : Hervé Pomerleau s’impatiente », Le Soleil, [En ligne],  http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201011/04/01-4339506-prolongement-de-lautoroute-73-herve-pomerleau-simpatiente.php (page consultée le 29 novembre 2011).

o    GAGNON-POULIN, Éric (3 juin 2011). « Solidarité Autoroute 73 dans l’embarras », Édition Beauce, [En ligne], http://www.editionbeauce.com/ nouvelles/actualites/14096/solidarite-autoroute-73-dans-lembarras.php (page consultée le 3 décembre).




[1] Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (janvier 2007). Projet de prolongement de
l’autoroute 73, Robert-Cliche, entre Beauceville et Saint-Georges, Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, p.3.
[2] Jürgen Habermas (1962). L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, éditions Payot,  p.14.
[3] Encyclopédie de l’Agora (1998). Habermas et le concept d’espace public, http://agora.qc.ca/dossiers/Espace_public.
[4] Ibid
[5] Ibid.
[6] Terme français pour désigner la théorie de l’agenda-setting selon Anne-Marie Gingras (2003). La communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’université du Québec, p.20.
[7] Charles Moumouni (2003). «L’image de l’Afrique dans les médias occidentaux, une explication par le modèle de l’agenda-setting », Les cahiers du journalisme, n°12, p.158.
[8]  Florian Faivre-Malfroy (2009). Théories de la communication, Lyon, Université Jean Moulin, p.7.

16 déc. 2011

QUE RÉSERVE 2012 AU MTQ EN CE QUI CONCERNE SON TRACÉ ILLÉGAL ?


L'année 2012 s'annonce toujours comme un bras de fer entre les Partisans du tracé Ouest et le Ministère des Transports du Québec.

Les récentes discussions entre les parties démontrent que le MTQ a résolument l'intention d'adopter une attitude bulldozer dans ce dossier envers les quatre citoyens, Partisans du tracé Ouest, injustement lésés par la Loi 2.

Ces derniers ne comptent pas baisser les bras et réitèrent leur demande au MTQ de nommer un juge médiateur pour arriver à un règlement acceptable.

Rappelons que lors des discussions en commission parlementaire avec le député Nicolas Girard du Parti Québécois, l'ex-ministre des Transports et dorénavant célèble pour ses frasques médiatiques en situation de crise, Monsieur Sam Hamad, s'engageait à entreprendre des discussions avec les citoyens concernés, considérant les frais judiciaires qu'ils avaient encourus inutilement pour faire valoir leurs droits légitimes. Cet engagement a été réitéré par l'actuel ministre des Transports, Monsieur Pierre Moreau.

Or, huit mois après l'adoption de la Loi 2, une offre est finalement parvenue aux citoyens, basée sur des considérations partisanes, ne respectant aucunement les bases tarifaires actuelles, trahissant le MTQ comme mauvais joueur malgré la Loi 2 qui lui a octroyé finalement la victoire en changeant les règles du jeu.

Vraisemblablement, la honte du MTQ persiste du simple fait que les instances judiciaires ont accueilli favorablement les actions en justice des citoyens et que le Parti Québécois se soit férocement opposé à cette mesure législative rétrograde et teintée de duplicité, pour annuler les décisions de justice favorables aux citoyens et modifier l’issu des procédures judiciaires en cours, ce qui ne peut exister dans notre État de droit.

Des lois de validation rétroactives, telle la Loi 2, sont exceptionnelles et rares. Elles datent d'un autre siècle. Elles sont apparues pour la première fois dans la législature française en 1843 pour raviver un acte notarié dépourvu de base juridique, comme en l'espèce pour le décret du conseil Exécutif. Elles sont aujourd'hui strictement limitées depuis un demi-siècle pour que le gouvernement n'utilise plus son pouvoir législatif pour écarter des décisions juridictionnelles qui lui déplaisent.

Rappelons que le 24 mars 2011, le ministre Hamad a déposé son projet de loi 2, à la demande d'un groupe de pression, dans une ambiance inaugurale et sous la salve des applaudissements de nos élus, faisant pied de nez à nos instances judiciaires et nos lois environnementales.

Ce projet de loi, qui allait devenir la Loi 2, permet la réalisation du nouveau tracé autoroutier du MTQ, faute d'avoir obtenu une autorisation finale et sans appel de la CPTAQ ni une décision légale du conseil Exécutif de l'imposer ni même un espoir d'obtenir une décision favorable de la Cour d'appel ou du Tribunal administratif du Québec, et faisant fi du tracé Ouest précédemment autorisé depuis trois décennies en respect des lois environnementales applicables.

Bref, le législateur qui exerce son pouvoir pour contrecarrer ses propres lois ... pour la réalisation d'un nouveau tracé des temps anciens...