23 sept. 2010

LE DÉCRET DU TRACÉ EST : POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE OU ABUS DE DROIT DU GOUVERNEMENT ?

 Préface

La présente ne constitue d’aucune façon une juste et complète information des plaidoiries rendues par les parties lors des audiences de la Cour supérieure dans la cause Bilodeau et al. c. Procureur général du Québec.

Elle est plutôt un compte-rendu de l’essentiel des éléments qui ont été plaidés et reflète, je l’espère, le plus fidèlement les propos des parties.

Josée Bilodeau, demanderesse



L'objet du litige

Les demandeurs, Madame Josée Bilodeau et Monsieur Pascal Veilleux, ainsi que les propriétaires de Ferme Bertnor inc., Madame Manon Poulin et Monsieur Marc Saint-Hilaire, se sont adressés à l’honorable juge Paul Corriveau de la Cour supérieure et demandé de déclarer nul et sans effet le décret de dézonage adopté par le conseil des ministres, décret publié le 2 décembre 2009 relatif au projet de prolongement de l’autoroute 73 par le tracé Est à Beauceville.

Le contexte particulier de cette décision du gouvernement est qu’elle ait été prise sur la base d’un avis favorable de la Commission de protection du territoire agricole du Québec dont les motifs étaient les mêmes que ceux exprimés dans sa décision antérieure autorisant ce même dézonage, décision contestée par ailleurs devant le Tribunal administratif du Québec. Les demandeurs n'ont pu démontrer les erreurs manifestes de cette décision de la Commission, et conséquemment de cet avis à la base de la décision du conseil des ministres, le décret ayant été adopté un mois avant les audiences fixées pour janvier 2010.

Ce décret a été adopté en vertu de l’article 66 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, la LPTAA, lequel s’énonce ainsi :

« 66. Le gouvernement peut, après avoir pris avis de la commission, autoriser, aux conditions qu’il détermine, l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, le lotissement, l’aliénation et l’exclusion d’un lot d’une zone agricole pour les fins d’un ministère ou organisme public.

La décision du gouvernement est déposée au siège de la commission.
»


LES PLAIDOIRIES DES PARTIES POUR CHACUNE DES QUESTIONS EN LITIGE

1. Le gouvernement pouvait-il exercer son pouvoir discrétionnaire sous l’article 66 une fois la décision rendue de la CPTAQ ?

Suivant les recherches des procureurs des demandeurs, le gouvernement a rarement utilisé l’article 66 de la LPTAA pour dézoner une partie du territoire (quatre cas depuis l’adoption de la LPTAA en 1978) et ces rares cas n’ont jamais été contestés dans les circonstances de la présente cause :

· Ligne Hydro Hertel des Cantons en 1987 suite à la tempête de verglas (décision invalidée par la Cour supérieure parce que l’urgence n’a pas été prouvée)

· Le réaménagement de la côte des Éboulements en 1999 suite à l’accident d’autocar

· Un tronçon de l’autoroute 30 en 2004 et 2006, qui n’avait jamais fait l’objet d’une autorisation de la CPTAQ

· Une complétion de dézonage de lots pour l’autoroute 35 en 2007 (le MTQ détenait déjà 93 % de la superficie).

Par ailleurs, suivant les débats de l’assemblée nationale lors de l’adoption de la LPTAA en 1978, cet article doit être utilisé de façon exceptionnelle « Un gouvernement qui déciderait trop souvent à la place de la Commission, immédiatement la Commission perdrait son autorité ».

Pour les demandeurs, le gouvernement ne peut utiliser le pouvoir prévu à l’article 66 lorsqu’une décision a déjà été rendue ou est susceptible de l’être par la CPTAQ ou le TAQ puisqu'il inhile le droit de recours prévu par la LPTAA. Par ailleurs, suivant d'autres articles de cette même loi, les décisions proviennent du gouvernement OU de la CPTAQ mais non des deux. L’article 97 de la LPTAA précise aussi que les grands projets, comme c'est le cas dans la présente cause, ne peuvent obtenir d’autorisation que si la CPTAQ, et non le gouvernement, a donné son autorisation préalablement. Aussi, en cas de doute sur l’interprétation d’une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte québécoise.

Suivant le Procureur général, le législateur a conféré au gouvernement à l’article 66, le pouvoir d’autoriser lui-même, après avoir pris avis de la CPTAQ, une utilisation non agricole pour les fins d’un ministère ou d’un organisme. Le gouvernement peut dézoner quand bon lui semble, pour des raisons politiques et discrétionnaires, sans être obligé de justifier son intervention. Les pouvoirs octroyés par la loi au gouvernement, comme celui de l’article 66, sont exercés par le Conseil exécutif, lequel est l’organe administratif suprême au Québec.

Les deux parties s’entendent pour affirmer que le pouvoir discrétionnaire du gouvernement est assujetti au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure si cette décision a été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu’elle n’est pas étayée par la preuve ou que le gouvernement omet de tenir compte des facteurs pertinents.


2. Subsidiairement, même si le gouvernement pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire, a-t-il agit équitablement envers les demandeurs ?

À aucun moment, les demandeurs comme le Tribunal n’ont été informés du cheminement d’un projet de décret débuté en juin 2009, un mois après le dépôt des procédures d’appel de la décision de la CPTAQ devant le Tribunal administratif du Québec. Les procureurs du MTQ et de la CPTAQ n’ont jamais informé les procureurs des demandeurs ou les demandeurs eux-mêmes bien qu’ils aient planifié les suites du recours et fixé les dates d’audiences par conférence téléphonique avec le juge du Tribunal en juillet 2009.

Suivant les demandeurs, il aurait été important pour les ministres décideurs de savoir si les motifs de l’avis de la CPTAQ, à la base de la décision du conseil des ministres, les mêmes que ceux exprimés dans sa décision contestée, étaient valides. Dans le contexte de cette affaire, c’est la CPTAQ elle-même, et non le Tribunal d’appel de ses décisions, qui a affirmé que ces motifs étaient valides. Par ailleurs, certaines garanties de l’équité procédurale sont présentes lorsqu’une décision administrative « touche les droits, privilèges ou biens d’une personne ». L’équité procédurale ne s’applique pas pour des décrets de mesure générale mais comme ce n'est pas le cas ici, il faut un minimum.

Suivant le Procureur général, le gouvernement n’avait aucune obligation d’aviser préalablement les demandeurs ou le Tribunal de son intention d’adopter le décret. La preuve démontre par ailleurs que les demandeurs ont eu l’occasion de faire valoir leur position à plusieurs reprises relativement au projet de l’autoroute. Par ailleurs, les demandeurs sont des tiers relativement à la décision prise par le gouvernement et le décret ne vise pas les droits, privilèges ou biens des demandeurs.


3. Enfin, même si le décret ne viole pas le devoir d’agir équitablement, est-il abusif et constitue-t-il un détournement de procédure ?

Suivant les demandeurs, le décret constitue un abus de droit car il manifeste une conduite excessive et déraisonnable de la part du gouvernement. « Tout droit poussé trop loin conduit à une injustice » disait Voltaire. Le décret a été publié un mois avant les audiences du Tribunal, ouvrant ainsi un deuxième front juridique pour tuer la contestation et obliger les demandeurs à se battre sur deux fronts, sans motifs d’intérêts public puisqu’il est admis qu’il n’existe pas d’urgence pour le prolongement de l’autoroute 73 et que le projet peut débuter et être parachevé pour plus de 50 % malgré la contestation devant le Tribunal ou complètement par le tracé Ouest suivant le décret de 1981. Par ailleurs, il faut que le Tribunal bénéficie d’une garantie d’indépendance élevée et évité à tout prix que l’état soit juge et partie. Les décisions du TAQ touchent les intérêts mêmes de l’état en tant que partie au litige. Les demandeurs avaient une expectative légitime d’une décision favorable du TAQ. L’État a violé ce principe. L’utilisation du décret constitue un usage anormal et arbitraire du pouvoir de l’article 66 et constitue un détournement de procédure. La seule raison est d’éliminer un irritant, soit le droit de contestation devant le Tribunal, et ce motif n’est pas un motif d’intérêt public qui peut justifier l’utilisation exceptionnelle de l’article 66.

Suivant le Procureur général, le gouvernement est libre d’effectuer des choix politiques fondés sur une multitude de considérations en fonction de ses responsabilités globales, politiques, économiques et sociales. Aucune preuve ne démontre que le gouvernement a adopté le décret pour empêcher le Tribunal d’exercer sa compétence. Le décret rend simplement sans objet le recours exercé par les demandeurs devant le Tribunal et ceci n’a rien d’illégal puisque la loi autorise le gouvernement d’agir ainsi.



LE JUGEMENT À VENIR…

L’honorable juge Paul Corriveau de la Cour supérieure devra établir l’applicabilité de l’article 66 de la LPTAA qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, son objet et l’intention du législateur.

Cette tâche sera complexe suivant les procureurs des demandeurs et fera jurisprudence.

Ce jugement par ailleurs, favorable ou non aux demandeurs, aura une incidence marquante sur le cheminement des grands projets au Québec qui se réaliseront en zone agricole. Les partis politiques de l'opposition sont en état de veille sur ce jugement qui sera rendu.

Une autorisation pour un usage non agricole doit-elle être obtenue exclusivement de la CPTAQ avec droit de recours pour le citoyen ou si le gouvernement peut s’en pouvoir quand bon lui semble ?

2 commentaires:

  1. Quelle épique bataille! Et tout ça pourquoi? Des politiciens de carrière, oui - on connaît tous l'insignifiance qui les fait évoluer et d'autres qui y trempent dans l'ombre, les plus nocifs, les plus ravageurs en ce sens que la perspective d'engendrer des dommages collatéraux n'effleurent même pas l'analyse qu'ils font de la situation ; en autant que l'avancement de leur cau$e demeure constamment la priorité absolue pourquoi même se demander si la médaille a un envers?

    Claude

    RépondreSupprimer
  2. Je crois qu'il serait sage et juste pour l'honorable juge Paul Corriveau de prendre sérieusement en compte non seulement les diverses applications des lois et leurs incidences mais aussi le fait d'ASSUMER toute la portée HUMANITAIRE et ENVIRONNEMENTALE de CETTE décision.

    En un mot, la balance «pourrais-tu» pour une fois, pencher du bord de ce qui est vivant et humain?

    Je signe: Pour mes enfants et toute ma descendance....

    RépondreSupprimer